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Covid-19, couvre-feu et confinement : quels sont les recours juridiques possibles ?

Affaires - Droit économique
Public - Droit public général
30/10/2020
Dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19, la France était, depuis le 17 octobre 2020, soumise à un couvre-feu dans certains départements et fait désormais l'objet d'un confinement généralisé ayant débuté le 30 octobre 2020 pour une durée minimale de 4 semaines. Ces mesures prises dans l'urgence par le Gouvernement sont toutefois susceptibles de faire l'objet de recours judiciaires. Comment et sur quels fondements ? Le point avec Me Romain MAULIN, Maulin Avocats.

Depuis samedi 17 octobre 2020, les habitants d’Île-de-France et de plusieurs métropoles ont été tenus de respecter un couvre-feu de 21 heures à 6 heures. Ce dernier a ensuite été, le 23 octobre 2020, étendu à 38 autres départements français[1]. Au total, ce sont 54 départements qui ont fait l’objet d’un couvre-feu nocturne représentant, au total, plus de 2/3 de la population française. Le 28 octobre 2020, le président de la République a instauré un nouveau confinement généralisé de l’ensemble de la population française prenant effet, à tout le moins pour 4 semaines, à compter du 30 octobre 2020[2].

Si de telles mesures, dont certains ont critiqué le fait qu’elles n’ont fait l’objet d’aucun contrôle parlementaire véritable[3], ont été présentées par le Gouvernement comme étant absolument indispensables afin de contenir le virulent rebond de l’épidémie de Covid-19[4], elles sont susceptibles d’être juridiquement contestées à plusieurs égards quant aux atteintes significatives et, dans certains cas, irrémédiables, qu’elles portent à plusieurs libertés fondamentales comme celles d’aller et venir, de réunion ou encore du commerce et de l’industrie. À l’instar de ce qui se passe déjà à l’étranger, cette situation inédite, et les restrictions majeures induites, pourrait conduire à une multiplication des recours devant les juridictions françaises, les particuliers, mais aussi les entreprises, étant tous fortement impactés. Ces recours nous semblent d’autant plus probables que le Conseil scientifique qui accompagne actuellement le Gouvernement dans la définition des mesures de lutte contre la propagation du Covid-19 vient d’indiquer qu’il est « probable que ces mesures même optimisées ne suffiront pas pour éviter d’autres vagues, après la deuxième. On peut ainsi avoir plusieurs vagues successives durant la fin de l’hiver/printemps 2021, en fonction de différents éléments : état climatique, niveau et efficacité opérationnelle de la stratégie Tester, Tracer, Isoler »[5].


Dans ce contexte, comment et sur quels fondements les mesures prises en application du couvre-feu et/ou du confinement peuvent-elle être contestées ?

Que prévoient les textes ?

À compter du 17 octobre 2020, l’état d’urgence sanitaire a été décrété sur l’ensemble du territoire national français. L’article L. 3131-15 du code de la santé publique, introduit en droit français le 23 mars 2020 en réponse à l’apparition de la Covid-19, permet en effet, pour les territoires placés en état d’urgence sanitaire, de réglementer voire d’interdire « la circulation des personnes et des véhicules » ou encore d’interdire « aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ».
Le Premier ministre a ainsi, par décret du 16 octobre 2020[6], enjoint aux préfets d’un certain nombre de départements d’instaurer un couvre-feu, autrement dit, en termes juridiques, d’interdire « les déplacements de personnes hors de leur lieu de résidence entre 21 heures et 6 heures du matin ». Par décision présidentielle du 28 octobre 2020 et par décret gouvernemental du 29 octobre 2020[7], ce couvre-feu localisé s’est mué en reconfinement généralisé.

L’interdiction de principe des déplacements s’applique, à l'exception des déplacements pour des motifs spécifiques, sous réserve toutefois que la personne concernée soit munie d’une attestation de déplacement préalablement et dûment remplie.

Quelles sont les risques juridiques encourus en cas de non-respect des mesures couvre-feu et/ou de confinement ?

Le non-respect des interdictions liées à l’état d’urgence sanitaire et au couvre-feu constitue une infraction punie d’une sanction pénale. La première violation constitue une contravention de 4e classe punie d’une peine d’amende de 135 euros.

En cas de nouvelle infraction dans les 15 jours de la première, une contravention de 5e classe d’un montant de 200 euros s’applique.

Enfin, la violation de l’interdiction plus de 3 fois sur une période d’un mois constitue un délit punissable d’une peine d’emprisonnement de 6 mois et d’une amende de 3 750 euros[8].
 

Quels sont les recours juridiques possibles contre les mesures prises en application du couvre-feu et/ou du confinement ?

Lorsqu’une restriction est portée aux droits et libertés fondamentaux des administrés, comme c’est le cas en l’espèce avec un couvre-feu et/ou un confinement, le principe est « la liberté est la règle, la restriction de police l’exception » (surlignement ajouté)[9]. Par conséquent, le juge administratif opère un contrôle de proportionnalité entre l’objectif attendu de la mesure de police et l’atteinte aux droits des administrés qu’elle suppose.

La mesure de couvre-feu et/ou de confinement constitue, par essence, une mesure attentatoire aux libertés fondamentales puisqu’elle restreint la liberté d’aller et venir des personnes qui est une composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen[10] et qui constitue une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative[11]. Par principe, toute restriction d’une liberté fondamentale doit être proportionnée aux libertés publiques et individuelles[12]. Cela signifie concrètement qu’en cas de contestation, l’autorité administrative ayant pris la mesure de police devra pouvoir démontrer que le couvre-feu, en empêchant les rassemblements nocturnes, permettra de freiner voire d’arrêter la propagation du virus.

Pour contester avec succès les mesures de couvre-feu et de confinement imposées au niveau national, c’est devant le juge administratif qu’un recours doit être formé. Plus précisément, il s’agira de contester la décision administrative en ce qu’elle porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale d’un administré. Par conséquent, il faudra introduire un référé-liberté[13] qui permet de demander au juge qu’il prenne, en urgence, toute mesure utile afin de sauvegarder les libertés fondamentales de l’administré.

Des recours ont-ils d’ores et déjà été formés en France contre des mesures de ce type ? Pour quels résultats ?

Les mesures prises en application de couvre-feu et du premier confinement (s’étant, en France, étalé du 17 mars 2020 au 11 mai 2020) ont déjà donné lieu à un certain nombre de contestations juridiques, ce que ce soit en France et/ou à l’étranger.

Ainsi, en avril 2020, la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) a introduit un référé liberté visant à obtenir la suspension de l’arrêté du maire de Nice imposant un couvre-feu (de 20 heures à 5 heures du matin) dans certains quartiers sensibles de la ville et ne représentant que 1,3% de la superficie totale de la ville de Nice. Le 22 avril 2020, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande après avoir pris soin de relever que la mesure contestée était justifiée par les circonstances locales « eu égard au nombre élevé d’infractions aux règles de confinement ainsi constaté sur un périmètre particulièrement restreint du territoire communal »[14].

À l’inverse, d’autres tribunaux administratifs français (en particulier ceux de Caen, de Montreuil ou d’Amiens) ont, entre mars et mai 2020 et pour certains à la demande des préfets territorialement compétents, suspendu des arrêtés municipaux qui imposaient dans des communes des mesures de couvre-feu locales[15]. Les juges ont, dans ces cas, considéré que les mesures de couvre-feu n’étaient pas justifiées par l’existence de « circonstances locales particulières ». Tout spécialement, pour le juge administratif, l’existence de prétendus manquements graves et répétés aux règles de confinement ne saurait constituer un motif justifiant une interdiction générale de circulation, autrement dénommée « couvre-feu ».

Plus récemment encore, un collectif de restaurateurs, artisans et commerçants toulousains ont, avec succès, introduit une requête en référé contre l’arrêté du préfet de Haute-Garonne du 12 octobre 2020[16] en ce qu’il imposait, d’une part, la fermeture, du 13 au 27 octobre 2020, des débits de boissons ayant pour activité principale la vente de boissons alcoolisées, sauf pour leurs activités de livraison et vente à emporter, et d’autre part, des conditions plus restrictives aux restaurants.

Le tribunal administratif de Toulouse a considéré dans une ordonnance du 16 octobre 2020[17], qu’il n’était pas démontré qu’une fermeture totale des établissements concernés était nécessaire, adaptée et proportionnée au but poursuivi de lutte contre la propagation de la Covid-19, alors même que le couvre-feu annoncé était bien susceptible de répondre à la dégradation de la situation sanitaire. Le juge administratif a notamment jugé qu’« aucun "cluster" n’a été détecté ayant pour origine une contamination du fait de leurs clients en lien avec la fréquentation de leurs établissements »[18]. Le tribunal a alors suspendu l’arrêté du préfet mettant en application le couvre-feu.

Aussi, deux requêtes en référé-liberté visant la suspension de l’article 51 du décret du 16 octobre 2020 (instituant le principe d’un couvre-feu de 21 heures à 6 heures du matin) ont récemment été déposées devant le Conseil d’État par des collectifs associatifs appuyés par des avocats.

Si nous sommes toujours en attente d’une prise de position imminente pour l’une d’entre elles, le Conseil d’État a d’ores et déjà jugé que cette mesure « qui, en tout état de cause, revêt un caractère moins restrictif qu’un confinement, est une mesure qui, en l’état de l’instruction, ne peut être regardée comme étant manifestement dépourvue de caractère nécessaire »[19].

La motivation de la Haute juridiction peut toutefois surprendre lorsqu’elle indique qu’« alors que les mesures instituées sur le fondement de la loi du 9 juillet 2020 [c’est-à-dire la loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire] n’ont pas été en mesure d’empêcher la reprise de l’épidémie (…) à l’inverse, l’adoption en mars dernier, dans le département de la Guyane, d’une mesure analogue de couvre-feu semble avoir montré son efficacité pour freiner la transmission de l’épidémie », (surlignement ajouté). En effet, si l’on s’en tient à l’analyse du Conseil scientifique Covid-19 du 27 juillet 2020, « la situation en Guyane française reste préoccupante même si l’on note récemment une diminution du nombre de cas confirmés. Le pourcentage de tests RT-PCR SARS-CoV-2 positifs reste néanmoins élevé (17%) entre le 13 et le 19 juillet 2020 »[20], (surlignement ajouté). L’on sait pourtant que pour ce département, qui présente des singularités fortes notamment en termes de capacités hospitalières dégradées et de pauvreté relative difficilement pertinentes à l’échelle de la métropole, le couvre-feu mis en place à partir du 24 mars 2020 à Cayenne s’inscrivait dans le cadre plus général du confinement national et n’a été généralisé que le 11 mai à l’ensemble du département au soutien d’autres décisions fortes comme l’interdiction de la vente d’alcool de 18 heures à 8 heures et la fermeture des frontières (en particulier celle avec le Brésil limitrophe où la circulation de SARS-CoV-2 était particulièrement rapide)[21].

Relevons également qu’en mars 2020, un collectif de médecins avait également introduit un référé-liberté devant le Conseil d’État afin d’enjoindre au Premier ministre et au ministre des Solidarités et de la santé de prononcer un confinement intégral de la population par (i) la mise en place de nouvelles mesures visant à renforcer/durcir l’interdiction totale de sortir de son lieu de confinement (sauf autorisation délivrée par un médecin pour motif médical), (ii) l’arrêt des transports en commun, l’arrêt des activités professionnelles non vitales et (iii) l’instauration d’un ravitaillement de la population. Cependant, la Haute juridiction avait rejeté cette demande de durcissement du confinement en estimant notamment que celui-ci pouvait conduire à de potentielles ruptures d’approvisionnement et pouvait ainsi avoir de graves implications pour la santé de la population. Elle avait toutefois enjoint au Premier ministre et au ministre des Solidarités et de la santé de (i) préciser la portée de la dérogation au confinement pour raison de santé, (ii) réexaminer le maintien de la dérogation pour « déplacements brefs à proximité du domicile », (iii) évaluer les risques pour la santé publique du maintien en fonctionnement des marchés ouverts[22].
 

Des recours ont-ils d’ores et déjà été formés à l'étranger contre des mesures similaires à celles adoptées par le gouvernement français ? Pour quels résultats ?

L’analyse de la jurisprudence étrangère actuellement disponible en matière de contestation des mesures de couvre-feu et/ou de confinement démontre que le contrôle étroit opéré également par les juges étrangers est sensiblement du même ordre.

Le juge espagnol a, par exemple, annulé les mesures de couvre-feu prises pour la ville de Lerida (Catalogne) et villes limitrophes. Dans cette décision du 12 juillet 2020, le tribunal de Lerida a considéré que « la mesure privative de liberté [confinement] qui s’ajoute aux autres restrictions déjà existantes n’est pas proportionnée aux données [sanitaires] présentées »[23] ou encore que « la proportionnalité de cette mesure très sérieuse de limitation et de restriction des droits doit se fonder précisément sur l'existence d'une transmission communautaire grave et très importante du virus »[24] (surlignement ajouté), sachant que le juge espagnol a estimé que le caractère exponentielle de la transmission du virus n’avait pas été suffisamment démontrée et quantifiée en l’espèce par l’autorité administrative. Sur ce point, il sera noté qu’un certain nombre d’experts épidémiologistes redoutent qu’en raison de leur caractère multifactoriel et des inconnues demeurant encore à date au sujet du Covid-19, les modélisations mathématiques du nombre de victimes potentielles en cas d’absence de confinement généralisé (ou toute autre mesure privative de libertés) soient d’une fiabilité assez relative[25].
 
Saisi par un collectif de restaurateurs contre un couvre-feu imposé à Berlin entre 23 heures et 6 heures, le tribunal administratif de Berlin a, par jugement en date du 16 octobre 2020, temporairement suspendu le couvre-feu imposé par les autorités allemandes. En s’appuyant sur les données épidémiologiques publiées par l’institut national de santé publique Robert-Koch, le juge allemand a estimé que les restaurants n’étaient a priori pas susceptibles de constituer des « clusters » ou encore de jouer un rôle majeur[26] dans la propagation de l’infection et que, en tout état de cause, de mesures de protection et d’hygiène additionnelles pouvaient y être instaurées en lieu et place d’un couvre-feu[27].

Quels arguments peuvent, avec succès, être mobilisés pour contester juridiquement les mesures prises en application du couvre-feu et/ou du confinement ?

Le requérant devra démontrer au juge administratif que la mesure contestée porte des atteintes graves et manifestement illégales à une ou plusieurs de ses libertés fondamentales, en l’occurrence sa liberté d’aller et venir, celle d’entreprendre, celle de réunion et d’association ou encore celle de mener une vie familiale normale.

Dans la mesure où le couvre-feu et, plus encore, le confinement total, constituent les mesures les plus liberticides qui soient, de telles mesures ne sont légales qu’à la condition que le gouvernement ait déjà considéré et mis en œuvre toutes les autres mesures préventives et curatives possibles afin de réduire l’engorgement redouté, depuis plusieurs mois déjà, des unités hospitalières françaises. Aussi, et cela a été jugé par le Conseil d’Etat dans son ordonnance du 23 octobre 2020, les mesures prises en application du couvre-feu ne peuvent être que parfaitement provisoires, raison pour laquelle « il appartiendra en tout état de cause au Premier ministre et aux autorités préfectorales d’y mettre fin sans délai dès qu’elles ne seront plus strictement nécessaires »[28].
Dans l’immédiat, il nous semble que les arguments susceptibles d’emporter la conviction du juge administratif tiennent à (i) l’absence de proportionnalité de la mesure (ii) l’inefficacité de la mesure en elle-même et (iii) la violation du principe d’égalité devant la loi.

Comment démontrer, dans un cas donné, l’absence de proportionnalité de la mesure de couvre-feu et/ou de confinement ?

Le juge administratif rappelle, de façon constante, que le caractère proportionné d’une mesure de police restrictive de libertés, comme c’est le cas du couvre-feu, doit s’apprécier en tenant compte, d’une part, de ses conséquences pour les personnes concernées, et d’autre part, de son caractère approprié pour atteindre le but d’intérêt général poursuivi. Ainsi, pour le juge administratif, « [l]a simplicité et [l]a lisibilité [d’une mesure de police administrative], nécessaires à sa bonne connaissance et à sa correcte application par les personnes auxquelles elle s'adresse, sont un élément de son effectivité qui doivent, à ce titre, être prises en considération », (surlignement ajouté)[29].

Partant, le caractère attentatoire aux libertés publiques du couvre-feu et, plus encore, du confinement, qui s’apparentent tous deux à certains égards à une mesure d’assignation à résidence, tient à la contrainte que suppose cette mesure pour les citoyens qui la subissent et aux conséquences significatives qu’elle emporte pour eux et leurs proches. L’absence de proportionnalité peut également être démontrée lorsqu’une autre mesure moins liberticide aurait pu être envisagée en vue d’obtenir un résultat sensiblement équivalent.

En l’espèce, il nous semble que l’autorité administrative, sauf à disposer de données chiffrées incontestables, pourrait peiner à démontrer que les mesures suivantes n’auraient pas été moins attentatoires aux libertés : (i) la distribution massive en population générale de masques FFP2 censés être plus protecteurs que les masques en tissus et/ou masques chirurgicaux, (ii) le rétablissement d’un contrôle des frontières afin d’éviter l’entrée, sans aucune précaution et/ou traçabilité, sur le territoire national de personnes potentiellement infectées, (iii) la généralisation la plus large possible du télétravail afin d’exclure tout risque de contamination sur le lieu de travail en particulier, si l’on s’en tient aux recommandations du Conseil scientifique Covid-19 de juillet 2020[30], « pour les personnes en ALD[31], recevant un traitement au long cours âgées de plus de 65 ans ou qui sont estimées à risque », ou encore (iv) une véritable politique d’isolement individuel, au sein de chambres d’hôtel réquisitionnées à cet effet, pour toute personne infectée et susceptible de contaminer ses proches.

Comment démontrer au juge administratif, dans un cas donné, la potentielle inefficacité de la mesure de couvre-feu et/ou de confinement ?

Un requérant pourrait par exemple démontrer le caractère inefficace de la mesure de couvre-feu au motif que le risque de contamination nocturne sur la voie publique semble, sur la base des données épidémiologiques actuellement disponibles, extrêmement limité. Dès lors une mesure prise en prévention d’un risque inexistant semble devoir être considérée comme illégale. Il pourrait également être soutenu qu’un confinement généralisé n’apportera a priori pas davantage de garantie en termes de ralentissement de la propagation du Covid-19 qu’un respect scrupuleux des gestes barrières et de distanciation sociale.

Pour cela, l’argumentation pourrait utilement être appuyée par les études et données, notamment celles de Santé publique France, qui semblent actuellement démontrer que les contaminations interviennent principalement dans les transports en commun et dans les établissements recevant du public et a contrario peu à domicile entre personnes qui ne cohabitent pas ensemble[32].

De plus, les interdictions de circulation relevant de la logique du couvre-feu peuvent générer des effets pervers, tels que, entre autres, (i) des phénomènes de surconcentration des activités à d’autres plages horaires, (ii) une augmentation et un allongement dans le temps des rassemblements nocturnes au sein de certains domiciles privés. Le (re)confinement généralisé présente, quant à lui, l’effet pervers de conduire, nécessairement, à une interruption de la continuité des soins et une perte de chance de dépister et/ou soigner à temps des maladies particulièrement graves[33].

Comment démontrer, dans un cas donné, la violation du principe d’égalité devant la loi de la mesure de couvre-feu et/ou de confinement ?

D’un strict point de vue juridique, les mesures prises en application du couvre-feu et/ou du confinement sont susceptibles d’emporter une atteinte non justifiée au principe d’égalité devant la loi en ce qu’elles conduisent à imposer à certaines catégories de population des contraintes bien plus lourdes qu’à d’autres, à efficacité égale, pour atteindre l’objectif d’intérêt général. Or, en l’espèce, l’application de la mesure de couvre-feu à une seule portion, même significative, de la population française tandis que d’autres activités plus favorables à la propagation du virus demeuraient, pour leur part, encore autorisées semblait manifestement méconnaître le principe de l’égalité devant la loi.

Relevons toutefois sur ce point que, par une ordonnance du 23 octobre 2020[34], le Conseil d’État a estimé que la mesure permettant aux préfets d’instaurer un couvre-feu était valide puisqu’elle ne portait pas une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales. La Haute juridiction a tout particulièrement retenu que cette mesure revêtait un caractère moins restrictif qu’un confinement, notamment du fait de sa limitation dans le temps et des nombreux motifs de dérogation. Il est fort probable que certains requérants souhaitant contester les modalités d’application du (re)confinement chercheront à capitaliser sur cette ordonnance qui admet que le confinement constitue la mesure la plus restrictive de libertés qui soit.
 
 
[1] D. n° 2020-1294, 23 oct. 2020, modifiant le décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.
[2] La mesure de confinement généralisé a pris effet par le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.
[3] Sur ce point, v. not. la lettre publique de Claire Hédon, Défenseure des droits, au président de l’Assemblée nationale et à la Commission des Lois en date du 23 septembre 2020, relevant, entre autres que : « la prorogation du régime transitoire d’état d’urgence sanitaire pour une durée de cinq mois devrait, si elle est adoptée, s’accompagner d’un renforcement du contrôle parlementaire des mesures sanitaires, afin de veiller au respect des exigences de L’Etat de droit sur l’ensemble du territoire », (surlignement ajouté). Cette lettre est disponible à l’adresse suivante : https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/courrier_pjl_eus_1-converti.pdf.
[4] Rappelons que, de façon prémonitoire, le Conseil scientifique Covid-19 jugeait, dans son avis du 27 juillet 2020 intitulé « Se préparer maintenant pour anticiper un retour du virus à l’automne », « fortement probable la survenue d’un retour du virus en novembre ou plus tard dans l’hiver (venant de l’hémisphère Sud et quand nous allons passer plus de temps dans les espaces confinés que dehors). Cette deuxième vague doit être anticipée et préparée pour éviter de se trouver dans la situation de mars 2020. C’est une responsabilité majeure pour les pouvoirs publics. Les protocoles du plan de prévention et de préparation doivent être finalisés avant septembre en particulier ceux concernant les 20 grandes agglomérations » (p. 28, surlignement ajouté).
[5] Conseil scientifique Covid-19, avis du 26 octobre 2020, Une deuxième vague entrainant une situation sanitaire critique, p. 20.
[6] D. n° 2020-1262, 16 oct. 2020, prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, article 51.
[7] D. n° 2020-1310, 29 oct. 2020, prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire
[8] Article L. 3136-1 du code de la santé publique.
[9] Commissaire du Gouvernement Corneille dans l’arrêt du Conseil d’État, Baldy, 10 août 1917, n° 59855.
[10] Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.
[11] Article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ».
[12] CE, Benjamin, 19 mai 1933, n° 17413 17520 ; CE, Les films Lutétia, 18 déc. 1959, n° 36385 36428.
[13] Article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de 48h ».
[14] TA Nice, ord., 22 avr. 2020, n°2001782, p. 6.
[15] TA Caen, ord., 31 mars 2020, n° 2000711 ; TA Montreuil, ord. 3 avr. 2020, n° 2003861 ; TA Amiens, ord., 16 mai 2020, n° 2001452.
[16] Arrêté préfectoral du 12 octobre 2020 portant prescription de diverses mesures nécessaires afin de faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le département de la Haute-Garonne.
[17] TA Toulouse, ord., 16 oct. 2020, n° 205170.
[18] TA Toulouse, ord., 16 oct. 2020, n° 205170, p. 6.
[19] CE, ord., 23 oct. 2020, n° 445430, p. 6.
[20] Conseil scientifique Covid-19, avis du 27 juillet 2020, Se préparer maintenant pour anticiper un retour du virus à l’automne, p. 6.
[21] La Croix, Covid-19: en Guyane, le couvre-feu a rimé avec décrue de l’épidémie, article du 14 octobre 2020, disponible à l’adresse suivante : https://www.la-croix.com/France/Covid-19-Guyane-couvre-feu-rime-decrue-lepidemie-2020-10-14-1201119449.
[22] CE, ord., 22 mars 2020, n° 439674, p. 5 et 7.
[23] Juzgado de Instrucción n° 1 de Lleida, ord. 12 juill. 2020, p. 20 : « ( …) en este caso en el ámbito sanitario, que según las cifras presentadas entendemos que la restricción domiciliaria que se presenta entre otras limitaciones, no es proporcional con los datos expuestos ». Ce jugement est disponible à l’adresse suivante : https://www.ecestaticos.com/file/34aeb9825c5b64249f740235af3c9964/1594595458-auto-2-covid-lleida-confinamiento.pdf
[24] Jugement précité, p. 21 : « ( …) Además de todo lo expuesto, la proporcionalidad de esta gravísima medida limitativa y restrictiva de derechos, debe basarse precisamente en la existencia de una grave y muy importante transmisión comunitaria del virus, en este caso, esta transmisión aparece en el informe de pasada, y mientras en el anterior informe de situación epidemiológica se hablaba de un posible transmisión, se utiliza la misma frase y líneas para ello que en el anterior informe y nos añaden que ahora la transmisión no es posible sino que existe y puede ser importante. No nos aportan ningún dato más, ni porqué es importante, si la importancia es extrema y grave, o en base a que datos se puede determinar la existencia de esta peligrosa transmisión comunitaria, en definitiva, no existe motivación en datos ni en fundamentos, para establecer esta afirmación ».
[25] APF, Confinement : critiques sur "l'alarmisme" des modélisations, Le Point, 6 sept. 2020 : « "Ces modèles mathématiques dépendent d'un trop grand nombre de facteurs pour être fiables", juge le Pr Toussaint. Dans le cas du Covid-19, maladie nouvelle et donc mal connue, "les conditions de base nous échappent", ce qui peut aboutir à "des déviations extrêmement fortes" entre les prédictions des modèles et la réalité ». Cet article est disponible à l’adresse suivante : https://www.lepoint.fr/monde/confinement-critiques-sur-l-alarmisme-des-modelisations-09-06-2020-2379088_24.php#.
[26] Le juge allemand a sur ce point noté que « selon les conclusions de l'Institut Robert-Koch, les clusters actuels sont notamment liés aux célébrations en famille ou entre amis ainsi qu'aux maisons de retraite, hôpitaux, centres d'accueil pour demandeurs d'asile et réfugiés, lieux de culte, abattoirs ».
[27] Verwaltungsgericht Berlin, Pressemitteilung vom 16.10.2020 Berliner Sperrstunde für Gaststätten vorerst suspendiert (Nr. 49/2020) - Beschlüsse der 14. Kammer vom 15. Oktober 2020 (VG 14 L 422/20 und VG 14 L 424/20) ; Cour administrative de Berlin, décision VG 14 L 422/20, page 8 : « Es ist jedoch im Rahmen summarischer Prüfung nicht ersichtlich, dass die Maßnahme für eine nennenswerte Bekämpfung des Infektionsgeschehens erforderlich wäre » - Traduction libre : « Toutefois, il ne ressort pas de l'examen sommaire que la mesure serait nécessaire pour parvenir à un contrôle significatif de l'infection » (surlignement ajouté).
[28] CE, ord., 23 oct. 2020, n° 445430, p. 6.
[29] CE, ord., 6 sept. 2020, n° 443750.
[30] Conseil scientifique Covid-19, avis du 27 juillet 2020, Se préparer maintenant pour anticiper un retour du virus à l’automne, page 17 : « [l]e Conseil scientifique considère que dans l’état actuel des connaissances et dans l’hypothèse d’un retour du virus à l’automne, le télétravail doit être organisé dans une perspective de moyen/long terme pour cette catégorie de personnes (…) », (surlignement ajouté).
[31] ALD est l’acronyme pour « affection longue durée » qui correspond à une maladie chronique à caractère grave, ex. AVC, diabète type 2, Mucoviscidose, Tumeur maligne, infection par le VIH.
[32] Santé publique France, Covid-19, Point épidémiologique hebdomadaire du 24 septembre 2020, Tableau 2. Clusters par type de collectivités (hors EHPAD et milieu familial restreint), entre le 09 mai et le 21 septembre 2020, (N=2 442) (Source : MONIC), page 15.
[33] Le Monde, Ces malades victimes indirectes du Covid-19, édition du mercredi 28 octobre 2020 : « [l]e nombre de mammographies dans le cadre du dépistage organisé du cancer du sein de 50 à 74 ans s’est totalement effondré. Sur les seuls régions Ile-de-France et Hauts-de-France, leur nombre est passé respectivement d’environ 14.000 et 9.000 de mi-mars à début mai 2019 à zéro pendant le confinement, selon la Société française de radiologie » ou « [p]endant le confinement, 10 à 15% des chimiothérapies ont été annulées puis reportées, 20% à 25% des radiothérapies et 30.000 chirurgies à visée curative de cancers n’ont pas été réalisées, par rapport aux 74.000 lors de la même période de 2019n cela s’explique notamment par un nombre de diagnostics de cancers inférieur sur la période », explique le docteur Jean-Baptiste Méric, directeur du pôle Santé publique et soins de l’Institut national du cancer (INCA), qui insiste pour que les patients reviennent en cas de symptômes – seule l’oncologie pédiatrique a fait exception ». Sur ce point, v. égal. l’avis du Conseil scientifique Covid-19 du 26 octobre 2020, Une deuxième vague entrainant une situation sanitaire critique, p. 21 : « [l]a société française est-elle prête à consacrer une partie importante des moyens de santé au COVID-19, éventuellement au détriment de la prise en charge d’autres pathologies (…)? ».
[34] CE, ord., 23 oct. 2020, n° 445430.
Source : Actualités du droit