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La loi Urgence pour faire face au Covid-19 est votée !

Affaires - Sociétés et groupements
23/03/2020
Quatre jours. C’est le temps qu’il aura fallu au Parlement pour débattre de trois projets de loi, dont le projet de loi ordinaire dit Urgence pour faire face au Covid-19, définitivement voté le 22 mars 2020. En tout, ce sont une vingtaine d’ordonnances qui sont prévues, sans compter les décrets. Le point.
Un projet de loi examiné au pas de charge. Les parlementaires auront néanmoins été jusqu’à une commission mixte paritaire pour parvenir à un accord sur ce texte :
  • en conseil des ministres 18 mars après-midi ;
  • adopté par le Sénat le 19 mars, tôt le matin ;
  • en commission des lois de l’Assemblée nationale dans la nuit du 19 au 20 mars ;
  • la commission mixte paritaire est parvenue à un compromis le 22 mars à 14 heures 30 ;
  • validation par le Sénat à 17 heures 30 le même jour ;
  • vote par Assemblée nationale à 22 mars ;
  • promulgation par le Président de la République dans la soirée du 22 mars.
Des désaccords persistants sur deux points en particulier : « Nos débats se sont concentrés sur deux points essentiels, a indiqué Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale. Dans le volet sanitaire du projet de loi, que nous avons symboliquement transformé en titre Ier au vu des enjeux qu’il emporte, nous avons réussi à trouver un consensus au sujet de la clause de sauvegarde (…). Dans le volet électoral, nous avons choisi d’apaiser les inquiétudes des élus municipaux en écrivant noir sur blanc que les élections régulièrement acquises lors du premier tour du 15 mars le seraient définitivement ».
Le projet de loi Urgence face au Covid comprend désormais 22 articles, contre 11 initialement (pour un commentaire d’un projet de loi voté par le Sénat, le 21 mars 2020, v. PJL d’urgence pour faire face au Covid-19 : ce que prévoit le texte voté par le Sénat en faveur des entreprises, Actualités du droit, 20 mars 2020).


Côté forme, l’ordre des titres a été inversé :
  • le titre I est désormais consacré à l’état d’urgence sanitaire ;
  • le titre II, aux mesures d’urgence économique et d’adaptation à la lutte contre l’épidémie de Covid-19 ;
  • le titre III, aux dispositions électorales.

Et surtout, côté habilitation, voici ce qu’il prévoit :
  • 43 habilitations ;
  • une vingtaine d’ordonnances.
« Il faut être lucide, souligne Marc Fresneau, nous ne connaissons pas toutes les mesures qu’il faudra prendre en fonction de l’évolution de la situation. Mais nous prévoyons dès à présent de soutenir massivement la trésorerie des entreprises et de leur apporter des aides directes et indirectes afin de préserver l’essentiel. Le droit du travail sera également adapté de façon temporaire afin de garantir de la souplesse et de limiter les ruptures de contrats de travail. Ces mesures provisoires auront pour seul et unique objectif de permettre la poursuite du travail et la satisfaction des besoins essentiels de la nation ».
 
Ce qu’il faut retenir s’agissant de l’état d’urgence sanitaire
Champ d’application rationae materiae et temporae.- Les travaux parlementaires ont permis d’insérer plus de transparence autour du contexte qui fonde l’état d’urgence sanitaire. Concrètement,
  • « Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques » ;
  • « L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement au titre de l’état d’urgence sanitaire ;
  • L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures.
Sachant que « La prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19 » (TA AN n° 414, 2019-2020, art. 2 ; C. santé publ., art. L. 3131-13).

Autre précision, s’agissant cette fois des mesures que le gouvernement peut prendre pour restreindre la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion, afin de mettre fin à la catastrophe sanitaire. L’Assemblée nationale (TA AN n° 2764, 2019-2020, amendement n° 184) avait souhaité aller plus loin que la liste limitative des mesures possibles établies par le Sénat. Le texte adopté par le Sénat ne permettait pas, en effet, si cela était nécessaire, d’interdire les déplacements à des fins professionnelles, de fermer tous les établissements recevant du public, d’interdire certaines importations ou exportations, sauf à réquisitionner les produits. Compromis en CMP : le texte se départit d’une liste mais cantonne ces mesures à une autorisation à : « prendre par décret toute autre mesure réglementaire limitant la liberté d’entreprendre, dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l’article L. 3131-12 » du Code de la santé publique.


Plus de transparence.- Le rôle du comité scientifique a été précisé au cours des travaux parlementaires. L’article L. 3131-19 prévoit désormais que « Le comité rend périodiquement des avis sur l’état de la crise sanitaire, les connaissances scientifiques qui s’y rapportent et les mesures propres à y mettre un terme, y compris celles relevant des articles L. 3131-15 à L. 3131-17, ainsi que sur la durée de leur application », périodiquement devant être interprété comme à chaque fois qu’il est nécessaire. Et pour plus de transparence, « Ces avis sont rendus publics sans délai », étant précisé que « Le comité est dissous lorsque prend fin l’état d’urgence sanitaire ».

Le champ de compétence de ce comité de scientifiques est donc étendu : il peut désormais rendre un avis sur l’état de la situation sanitaire et la durée d'application des mesures prises dans ce cadre.

Précisons, enfin que ce comité de scientifiques (v. TA AN n° 414, 2019-2020, art. 5 ; C. santé publique, art. L. 3131-26) comprend un président nommé par le Président de la République, deux personnalités qualifiées nommées par le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat et des personnalités qualifiées nommées par décret.

Sanctions renforcées.- Comme l’indique le député Pierre-Yves Bournazel : « Les débats parlementaires ont permis de durcir de manière équilibrée les amendes, en cas de récidive, pour les infractions à l’obligation de confinement, ou encore de donner aux policiers municipaux le pouvoir de dresser des contraventions ».


Ce qu’il faut retenir s’agissant de l’aide aux entreprises
Chômage partiel.- L’Assemblée nationale est venue apporter une précision importante, en raison de difficultés rencontrées par certaines entreprises (notamment du bâtiment) avec l’administration : des remontées terrain ont révélé des difficultés d’entreprises de certains secteurs pour faire reconnaître leur éligibilité à ce dispositif par les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE).

L’Assemblée nationale a donc clarifié le projet de loi pour mentionner expressément comme éligibles « toutes les entreprises quelle que soit leur taille » (TA AN n° 2764, 2019-2020, amendement n° 205).
 
Congés payés.- Modification importante et point très discuté lors des débats, la prise de congés payés ne pourra pas être imposée par l’employeur. Le choix a finalement été fait de renvoyer au dialogue social et à la concertation les modalités de prise des congés dans l’entreprise. La loi renvoie donc désormais à un « à un accord d’entreprise ou de branche (le fait) d’autoriser l’employeur à imposer ou à modifier les dates de prise d’une partie des congés payés dans la limite de six jours ouvrables » (TA AN n° 414, 2019-2020, art. 7, 1°, b)).

En revanche, l’employeur peut « imposer ou (…) modifier unilatéralement les dates des jours de réduction du temps de travail, des jours de repos prévus par les conventions de forfait et des jours de repos affectés sur le compte épargne temps du salarié ». Les salariés en forfait jours, principalement des cadres, sont également visés.


Prime exceptionnelle de pouvoir d’achat.- Un amendement adopté à l’Assemblée nationale (TA AN n° 2764, 2019-2020, amendement n° 240) est venu habiliter le Gouvernement à assouplir, par ordonnance, les conditions et modalités de versement de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat qui a été reconduite pour l’année 2020 par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 (L. n° 2019-1446, 24 déc. 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020, art. 7).
L’objectif : inciter les entreprises à verser la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat à leurs salariés qui assurent la continuité de l’activité en cette période de crise sanitaire.


Modalités d’exécution des contrats de droit privé.- Un autre amendement est venu étendre à une autre hypothèse l’aménagement des modalités d’exécution des contrats, à savoir la résiliation sans frais des contrats de voyage à compter du 1er mars 2020, date à laquelle la propagation du coronavirus à des pays d’accueil (Espagne, Italie par exemple) a pu remettre en cause le déroulement des voyages (TA AN n° 2764, 2019-2020, n° 19).

Le Covid-19 est donc désormais pris en compte en tant que « circonstances exceptionnelles et inévitables, ayant des conséquences importantes sur l'exécution du contrat ou sur le transport des passagers vers le lieu de destination », afin que les voyageurs puissent résoudre le contrat avant le début du voyage ou du séjour et ce, sans payer de frais de résolution.
 

Procédures collectives.- Là encore, modification du champ d’application des mesures initialement prévues, cette fois s’agissant de l’aide aux entreprises en difficulté (TA AN n° 2764, 2019-2020, amendement n° 262). Concrètement, ce dispositif ne s’appliquera pas aux seules entreprises qui viennent à connaitre des difficultés en raison de l’état sanitaire du pays, mais également celles dont les problèmes sont aggravés par cette crise.

Autrement dit, les entreprises déjà en procédure de conciliation, sauvegarde ou redressement judiciaire, ou bénéficiant d’un maintien de l’activité en liquidation judiciaire et d’une perspective de plan de cession, avant cette crise, peuvent se voir appliquer le nouveau dispositif qui sera prévu par ordonnance.

Autre élargissement, sont maintenant visées par l’habilitation, au-delà des seules dispositions du livre VI du Code de commerce, celles du chapitre I er du titre V du livre III du Code rural et de la pêche maritime (règlement amiable agricole, par exemple).

 
Échelonnement des factures d’eau de gaz et d’électricité : élargissement de l’assiette des entreprises éligibles.- Certaines entreprises vont pouvoir négocier un report intégral ou un étalement du paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels et commerciaux (sans pénalités financières et suspensions, interruptions ou réductions de fournitures).

Deux précisions importantes :
  • ces étalement/report ne concernent que les très petites entreprises, telles que définies par un décret de 2008 (D. n° 2008-1354, 18 déc. 2008, JO 20 déc., art. 3 : 2 critères cumulatifs : occuper moins de 10 personnes et un chiffre d'affaires annuel ou un total de bilan n'excédant pas 2 millions d'euros) ;
  • les travaux parlementaires ont étendu « aux locaux professionnels et commerciaux », le texte initial ne visant que les locaux professionnels (TA AN n° 2764, 2019-2020, amendement n° 125).
 
La loi doit maintenant être promulguée et publiée au Journal officiel. Ce qui ne sera qu’une étape. Plus qu’un cadre, que vient de fixer la loi, entreprises et conseils attendent désormais ordonnances et décrets d’application pour mettre en œuvre rapidement les dispositifs votés.
Source : Actualités du droit