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Absence d’interdépendance des polices dommages-ouvrage et responsabilité civile décennale

Affaires - Assurance
Civil - Contrat
03/04/2018
L'assignation de l'assureur en sa qualité d'assureur dommages-ouvrage n'interrompt pas le délai de prescription de l'action engagée pour le même ouvrage contre la même société, prise en sa qualité d'assureur de responsabilité civile décennale.
Selon contrat de construction de maison individuelle, la société X a édifié une maison d'habitation réceptionnée le 10 octobre 1996. Deux polices d’assurances ont été souscrites auprès de la même compagnie pour cette opération de construction, à savoir une assurance dommages-ouvrage et une assurance constructeur de maison individuelle comprenant la couverture de la responsabilité civile décennale du constructeur ; celles-ci ayant été enregistrées sous le même numéro de contrat.

Suite à de graves désordres affectant l’habitation, les propriétaires ont assigné le constructeur ainsi que son assureur dommages-ouvrage en date du 9 octobre 2006 aux fins de référé expertise. À l’issue des opérations d’expertise, l’expert conclut dans son rapport du 30 avril 2014 qu’en raison de l’importance des désordres et de leur évolution, il était inenvisageable de reprendre l’existant et qu’une démolition pour reconstruction à l’identique du pavillon était nécessaire. Les propriétaires assignent donc au fond le constructeur ainsi que son assureur ; cette fois, en sa double qualité d’assureur dommages-ouvrage et d’assureur de la responsabilité civile décennale du constructeur.

Dans un arrêt du 19 janvier 2017, les juges de la cour d’appel de Rennes ont notamment considéré que l’action engagée par les propriétaires contre l’assureur en sa qualité d’assureur responsabilité civile décennale était prescrite. Le constructeur ainsi que les propriétaires se sont alors pourvus en cassation. Ils invoquaient notamment le fait que les deux polices avaient été souscrites sous le même numéro et que celles-ci étaient donc unies par un lien d’interdépendance, ce qui justifiait l’extension de l’interruption de la prescription de l’action exercée à l’encontre de l’assureur sur le fondement de l’une des polices à l’autre.

La troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 29 mars 2018 (destiné à être largement diffusé), rejette le pourvoi et confirme la solution d’appel. Dans un premier temps, elle rappelle que « bien que référencés sous le même numéro, (les contrats souscrits) étaient distincts par leur objet ». En effet, l’assurance dommages-ouvrage est une « assurance garantissant, en dehors de toute recherche des responsabilités, le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l'article 1792-1, les fabricants et importateurs ou le contrôleur technique sur le fondement de l'article 1792 du code civil » (C. assur., art. L. 242-1) alors que l’assurance de responsabilité civile décennale vient garantir « toute personne physique ou morale, dont la responsabilité décennale peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du code civil » (C. assur., art. L. 241-1). Ces deux polices ont donc bien un objet différent mais également une nature distincte puisque l’une est une assurance de choses et l’autre une assurance de responsabilité.

Dans un second temps, elle confirme le raisonnement d’appel qui, refusant un lien d’interdépendance entre les deux contrats, en déduit que l’assignation de l’assureur en sa seule qualité d’assureur dommages-ouvrage n’a pas interrompu le délai de prescription de l’action engagée pour le même ouvrage contre la même société, prise en sa qualité d’assureur de responsabilité civile décennale. Par conséquent, cette action est prescrite.

Cette solution n’est pas inédite puisque la jurisprudence a déjà admis que la prescription n’est interrompue qu’à l’égard de celui que l’on veut empêcher de prescrire (v. Cass. 3eciv., 23 févr. 2000, n° 98-18.340, Bull. civ. III, n° 39, qui retient la fin de non-recevoir tirée de l’expiration du délai décennal pour une citation en justice ayant été adressée à l’assureur dommages-ouvrage et non à l’assureur de responsabilité civile décennale) et que l’interruption de la prescription est limitée à la police visée dans l’acte interruptif (Civ. 1re, 21 mars 1995, n° 92-13.286, refusant d'admettre une indivisibilité entre une police garantissant les dommages matériels et une autre couvrant les pertes d'exploitation). En outre, une solution similaire a été retenue en matière d’assurance des risques de la construction, notamment dans un arrêt de la troisième chambre civile du 4 juin 2009 (Cass. 3e civ., 4 juin 2009, n° 08-12.661, Bull. civ. III, n° 128) exposant que « la reconnaissance de garantie de l’assureur dommages-ouvrage, au titre d'une assurance de chose, ne pouvait valoir reconnaissance de responsabilité d'un constructeur même si cet assureur était aussi, pour le même ouvrage, assureur de responsabilité civile de ce constructeur, la cour d'appel en a exactement déduit que l'action, qui n'avait jamais été interrompue à l'égard de l'assureur décennal avant l'expiration du délai de garantie, était prescrite ».

Toutefois, un doute pouvait subsister puisqu’un arrêt avait admis que l’interruption pouvait s’étendre d’une action à une autre dès lors qu’elles tendaient à un seul et même but (Cass. 3e civ., 22 sept. 2004, n° 03-10.923, Bull. civ. III, n° 152 ayant jugé que « si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, quoiqu'ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but », pour en déduire que « l'action en responsabilité contractuelle n'était pas prescrite pour avoir été interrompue par l'action engagée initialement sur le fondement de la garantie décennale »).

Dans cette affaire, les juges considèrent que peu importe que les deux polices aient finalement le même but, à savoir l’obtention du paiement des travaux de reprise des désordres, l’objet étant différent, celles-ci ne peuvent être assimilées. Cette solution paraît sévère puisqu’elle appelle à la vigilance le maître de l’ouvrage ou son conseil qui doivent s’assurer de mettre en cause l’ensemble des parties et des contrats pouvant être concernés. Néanmoins, en pratique, cette solution est adaptée, les deux contrats étant souvent gérés par des services différents au sein des compagnies d’assurances et les uns n’étant pas toujours informés qu’une procédure est engagée au titre de l’un ou l’autre des contrats.
 
 
Source : Actualités du droit