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« L’algorithme libère-t-il ou asservit-il le juriste ? » : focus sur la troisième table ronde du Forum des Éclaireurs du droit

Affaires - Immatériel
25/04/2024
Le 22 avril 2024 s’est tenue la première édition du Forum des Éclaireurs du Droit organisée par les Éditions Lamy Liaisons. Parmi les intervenants, des philosophes, universitaires, juristes, avocats, notaires, essayistes ou encore des entrepreneurs qui ont partagé leurs savoirs et expériences sur le thème de cette rencontre « L’IA et la pratique du droit, prise de recul sur une métamorphose en cours ». Entre sagesse, audace et tempérance, ces experts ont ébauché une ligne de partage et éclairé le chemin d’un auditoire particulièrement attentif. Focus sur la troisième table ronde sur le thème « L’algorithme libère-t-il ou asservit-il le juriste ? ».
NDLR : dans cet article, le terme « juriste » est pris largement, englobant les juristes mais aussi les avocats, notaires, magistrats…
 
Animée par Marjorie Paillon, journaliste, la troisième table ronde était consacrée à la question de l’asservissement ou, au contraire, de la libération du juriste face à l’algorithme. Elle a réuni Julie Couturier, avocate, Présidente du Conseil national des Barreaux (CNB), Jean-Philippe Gille, Président de l’Association française des juristes d’entreprises (AFJE) et Pierre Tarrade, Premier vice-président de la Chambre des notaires de Paris.
 
Face à l’IA, les juristes entre adaptation et scepticisme
 
Dans un monde en constante évolution, les juristes se trouvent à la croisée des chemins, confrontés à une révolution technologique qui n’épargne pas leur profession. L’intelligence artificielle (IA), souvent perçue comme une menace, est ici envisagée comme une opportunité d’évolution et d’innovation. Toutefois, cette perspective nécessite une adaptation prudente et réfléchie.
En effet, les professionnels du droit ne voient pas leur existence menacée par l’IA, mais reconnaissent la nécessité d’une transformation dans leur pratique. Ils abordent cette nouvelle ère avec un mélange de scepticisme et de fascination, conscients des défis majeurs que l’IA pose à la société, notamment en termes de démocratie, avec la diffusion de « fake news », et de discrimination.
Malgré tout, les juristes, habitués au changement, restent dubitatifs face à ce nouvel outil, le considérant avec un brin de « magie » et beaucoup d’interrogations. Des moratoires ont été décrétés par certains, soulignant la problématique du contrôle des données. La formation et la compréhension des besoins sont essentielles pour appréhender ces technologies sans crainte mais avec une vigilance accrue.
L’innovation technologique n’est pas un problème en soi, mais soulève des questions pertinentes. En somme, l’avenir des juristes semble s’inscrire dans une démarche d’ouverture aux nouvelles technologies, tout en préservant les fondements de leur profession.
 
L’éthique au cœur de la relation client et de l’IA

Les professions juridiques soulignent l’importance de l’éthique dans toute interaction avec les clients, et l’IA n’échappe pas à cette règle. La maîtrise insuffisante de l’IA soulève des questions éthiques significatives, incitant les professionnels à privilégier la formation pour mieux comprendre et contrôler ces technologies. En effet, par exemple, les juristes pourront être formés par des ingénieurs pour acquérir une connaissance approfondie du fonctionnement des machines. Cette collaboration interdisciplinaire est essentielle pour garantir que les conseils prodigués aux clients soient fondés sur une compréhension solide des outils utilisés, assurant ainsi un service éthique et compétent.
 
Une interdisciplinarité nécessaire
 
Au-delà de ce nécessaire dialogue entre professionnels du droit et « techs », il est appelé à plus de communication et d’interconnexion entre les différentes professions juridiques. À cet égard, il semble nécessaire de faire face collectivement aux enjeux de l’IA, et non pas de manière segmentée, profession par profession. L’ensemble des professions juridiques devraient réussir à se mettre d’accord sur le respect d’un certain nombre de principes quant à l’utilisation des technologies. Comme par exemple les principes qui sont énoncés dans la Charte éthique européenne sur l’utilisation de l’IA, et notamment : le respect des droits fondamentaux dans la conception et l’utilisation des outils d’IA, la qualité et la sécurité des données, la transparence, l’impartialité et l’équité, et le contrôle par l’utilisateur.
 
Au final, l’arrivée de l’IA au sein des professions du droit ne semble pas être perçue comme une menace pour les professionnels du droit réunis autour de cette troisième table ronde, mais plutôt comme une opportunité pour susciter plus d’interdisciplinarité entre leurs différentes professions. L’IA ne remplacera pas l’avocat, le notaire ou le juriste : les professionnels du droit continueront en effet d’exercer leur métier, peut-être différemment pour certains de leurs aspects, mais, et pour reprendre le fil conducteur de cette table ronde, « l’algorithme n’asservira pas le juriste ». L’IA ne deviendra pas stratège à la place du juriste ; elle entrainera les juristes vers plus de créativité, d’innovation, d’esprit critique… elle forcera les professionnels du droit à être meilleurs.
Deux risques sont toutefois soulevés par les intervenants de cette troisième table ronde. Le premier : celui de créer une fracture numérique entre les professionnels du droit qui maîtriseront les IA génératives et les utiliseront dans leur pratique et ceux qui n’en auront pas la maîtrise. Le second : celui d’un accès à la justice à deux vitesses, avec d’un côté des justiciables qui pourront avoir accès à un avocat ou un notaire, et de l’autre, ceux qui ne le pourront pas et qui auront recours à des outils d’IA sans garantie de la compétence des professionnels du droit, sans garantie de la déontologie.
Source : Actualités du droit